Qui est le Belge Bahar Kimyongür et pourquoi sa tête est mise à prix par Erdogan?

Militant, journaliste, écrivain et farouche opposant au président Recep Tayyip Erdogan, le belge Bahar Kimjongür a été placé il y a quelques jours sur la liste des terroristes hautement recherchés par le régime turc. Une prime de 214.00 euros est offerte pour sa capture. Comment en-est il arrivé là?

C’est un homme un peu inquiet que nous avons eu au téléphone. Depuis que son nom a été placé dans la catégorie verte des terroristes les plus recherchés par la Turquie, Bahar Kimyongür sent qu’une menace grave pèse autour de sa personne. « Il a déjà été voir la police », nous confie sa soeur Gülay Kimyongür. Par souci de sécurité et pour qu’il n’ait pas à révéler son adresse, nous l’avons donc interviewé par téléphone.

Le président truc offre 214.000 euros à celui qui pourra capturer Bahar Kimyongür. « En me plaçant sur cette liste, Erdogan fait de moi la cible des Loups gris« , nous explique le militant turc, qui pointe ces suprémacistes turcs dont l’idéal nationaliste les poussent à adopter un comportement radical et parfois violent à l’encontre ceux qui s’opposent au discours officiel de la Turquie. « Je crains non seulement pour ma sécurité mais je m’inquiète également des dangers que cela pourrait entraîner sur la voie publique. Si l’on cherche à me pousser sur une voie ferrée ou qu’une voiture me poursuit sur la route, cela pourrait avoir des conséquences dangereuses. »

terorarananlar.pol.tr

Né en Belgique

Bahar est belge, fils de parents turco-syriens. Il est né le 28 avril 1974 à Berchem-Sainte-Agathe et il a très tôt été engagé dans diverses causes, politiques autant qu’humanitaires. Il passera entre autres par Amnesty International et le PTB avant de fonder sa propre association le Clea, un comité dont le but est de défendre le droit à la liberté d’expression et d’association.

Il nous confie être en contact avec les différentes communautés confessionnelles turques de Belgique (Islam Sunnite, Alévi…) et nous précise que l’entente est bonne avec ces dernières. La menace vient directement du gouvernement turc dont il a toujours publiquement dénoncé les actions, actions qui font de lui « un gouvernement terroriste ».

« Je cherche à faire émerger en Turquie une alternative démocratique », nous confie-t-il. Le gouvernement d’Erdogan est devenu « une réelle dictature qui pèse sur des millions de citoyens, en Turquie autant que dans le reste du monde. Mais mon combat contre l’oppression en Turquie a commencé bien avant le règne d’Erdogan ».

Gouvernement turc

Début des années 2000, Bahar Kimyongür commence à avoir de sérieux ennuis avec les autorités turques. Après avoir chahuté le ministre des affaires étrangères du précédent gouvernement Ismail Cem lors de sa visite au Parlement en novembre 2000, il est présenté comme un l’un des « cerveaux du terrorisme » par la presse turque. On lui reprochera notamment d’avoir incité des militants à se lancer dans une grève de la faim. Quelques années plus tard, cette histoire lui retombe dessus avec violence.

En 2006, Erdogan est alors le Premier ministre de la Turquie, Kimyongür est poursuivi en justice pour avoir traduit un texte du mouvement DHKP-C, un groupe d’extrême-gauche considéré comme terroriste par l’Union européenne. « Je ne fais pas partie du DHKP-C et je n’en ai jamais fait partie », nous confirme l’activiste. « Il m’est arrivé de prendre la défense de certains militants mais dans des cadres bien particuliers ». Sauf qu’en Turquie, le DHKP-C a mauvaise presse et y être lié est un peu l’excuse fourre-tout pour attaquer tous les opposants au régime officiel.

Prison et procès

C’est ainsi que le journaliste se retrouve avec un mandat d’arrêt lancé sur sa propre personne. Listé par Interpol, il est par la suite consécutivement arrêté et emprisonné en Belgique, aux Pays-Bas, en Espagne et en Italie. Après de nombreux procès, il est finalement acquitté par les justices belge, néerlandaise, espagnole et italienne. Et Interpol retire cette accusation de terrorisme montée par la Turquie.

« J’ai tellement été en contact avec ces polices internationales que maintenant, je connais personnellement le directeur d’Interpol », explique avec humour Kimyongür. En 2011, il porte plainte « contre les plus hauts responsables de l’État belge », dont Laurette Onkelinx (PS), pour avoir organisé son arrestation aux Pays-Bas. Selon le Clea, « une fois appréhendé à l’étranger (en l’occurrence aux Pays-Bas), Bahar Kimyongür aurait pu – au regard des conventions internationales – y être ‘légalement’ extradé vers Ankara », chose qui n’aurait pu être faite en Belgique, le pays n’extradant pas ses nationaux.

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Terroriste en Turquie

Au final, cette extradition n’aura pas lieu et c’est une bonne chose pour la sécurité du militant. « Je ne suis plus retourné en Turquie depuis la fin des années 90 et je ne peux plus le faire actuellement », nous confie-t-il. « Ce serait signer mon arrêt de mort », ajoute le militant des droits de l’homme qui nous rassure: il n’est pas seul ni le seul dans cette situation. Il a autour de lui des avocats, des mouvements de défense des droits humains et des citoyens engagés.

Car être terroriste en Turquie, ce n’est presque plus exceptionnel. « Malheureusement, il suffit d’être un peu critique envers le système pour être taxé de terroriste », nous explique le journaliste. Dans cette fameuse liste des Turkish Most Wanted, on retrouve ainsi des fonctionnaires (dont tous ceux touchés par la purge lancée par Erdogan après le putsch raté), des journalistes comme les membres de Cumhuriyet, des activistes ou simplement des opposants politiques (comme Fettula Gülen) ou encore des artistes.

Même « sur le territoire européen, ces « terroristes » ont leur vie en danger », déplore le militant. Le footballeur allemand d’origine kurde Deniz Naki s’est fait tirer dessus alors qu’il était au volant de sa voiture pour ses propos anti-Erdogan. Le journaliste arménien Hrant Dink été assassiné par un militant « gavé de discours militaristes » et Kimyongür a perdu un « ami assassiné à coup de couteaux à Amsterdam ». Ce ne sont que quelques exemples.

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Le groupe Yorum

Dans la liste des ennemis de l’état turc, Kimyongür nous parle aussi des musiciens de Yorum, un groupe extrêmement populaire en Turquie. « Ils ont joué devant des centaines de milliers de personnes. C’est un groupe qui a énormément de succès en Turquie. Et on les accuse de terrorisme parce qu’ils ont un avis critique sur le gouvernement d’Erdogan. »

« Une partie de cette chorale populaire est en prison, le reste a réussi à s’enfuir dans la clandestinité et vit actuellement en Europe ». Pour Yorum comme pour notre interlocuteur, la technique est la même. Ankara les accuse d’appartenir au mouvement DHKP-C et donc d’être des terroristes. « Mais ni eux ni moi ne faisons partie de ce mouvement politique », nous affirme Bahar.

Les ennemis sur les réseaux

Cette étiquette de terroriste le poursuit jusque sur les réseaux sociaux où les clivages politiques sur la Turquie sont bouillonnants. On voit ainsi circuler des images de Kimyongür aux côtés de Musa Asoglu, à l’époque chef du DHKP-C et listé comme terroriste par l’Union européenne. On le voit également tenir entre ses mains un bazooka. Ces images sont utilisées par ses détracteurs pour le présenter comme un terroriste.

L’activiste répond que ces images sont sorties de leur contexte. La photo aux côtés de Musa Asoglu a été prise alors qu’il militait pour la libération de Fehriye Erdal et celle avec un bazooka prise en 2002 lors d’une mission en Palestine, en faveur des droits palestiniens. « Durant cette visite très officielle, à laquelle participaient de nombreux politiciens et journalistes, j’ai saisi cette vieille arme rouillée qui était accrochée au mur. Un ami journaliste m’a pris en photo à mon insu et aujourd’hui, cette image tourne sur les réseaux sociaux pour me discréditer. »

Turquie

Forcément, avec cette étiquette sur le dos, Kimyongur est vu « par des jeunes peu éduqués et gorgés de propagande étatique » comme un danger public. À cause de cela, il est constamment la cible d’attaque de discrédit sur les réseaux sociaux. Pourtant, il garde espoir. Même s’il ne pourra pas rentrer en Turquie avant longtemps, il pense que le pays a encore des chances de s’en sortir.

« Il y a une grande tradition démocratique en Turquie et il existe réellement une énergie prompte à se battre pour ses droits qui n’est pas prête de mourir. » Est-ce que cette menace du président Erdogan va le pousser à cesser son combat? Non, « la Turquie exerce une telle terreur sur ses citoyens que je ne peux pas baisser les bras ».

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